[ HRP : Vient qui veut que ça arrange... ]
Une masse de gens, tous ont du mépris pour quelque chose, du mépris pour eux-même, ou du mépris pour leur semblables. Au plus profond de leur être, c’est l’unique chose qu’ils peuvent ressentir… L’homme, issu du péché d’Eve, est méprisé par lui-même et par ses semblables… Par le regard de son Contractant, Abel avait fini par être persuadé de la nature mauvaise de l’homme, comme en était persuadé bien avant lui son dominant, qui lui avait appris les bases de la religion chrétienne… qu’il méprisait également. Comme exemple de mépris, il était vrai qu’il n’y avait pas pire qu’Enael, qui portait un regard noir sur le monde et sur lui-même. A la différence du jeune Weisheit, Abel ne méprisait pas son Contractant, puisqu’il s’était juré de lui venir en aide… Mais il fallait croire que tout ne s’était pas déroulé comme prévu. Au début, il avait pensé qu’aider Enael consisterait à lui enlever son pessimisme si sombre présent dans son cœur, mais il s’était rapidement rendu compte que les réflexions d’Enael étaient fondées… Et à présent que celui-ci possédait un pouvoir bien particulier, qui avait sans doute fait échos à sa personnalité et à sa façon de penser. Afin de le dégoûter encore plus de cet animal déchu qu’était l’humain. Et même si Abel ne possédait pas ce pouvoir, il comprenait les sentiments de son Contractant, et il en était arrivé lui aussi à avoir une certaine aversion pour ceux qui n’étaient plus ses semblables, la principale raison étant que leur présence même nuisait à son Contractant… Enfin, il s’efforçait tout de même de ne pas sombrer dans égoïsme comparable à celui d’Enael et parvenait tout de même à éclairer le jeune Weisheit de faibles lumières d’optimisme ou de bonté. Mais autant dire que Til’Aria et Weisheit ne formaient pas le duo de Contractants le plus folichon qui existait sur Terre ou sur Vespéria… De toute façon, leur but n’était en rien de s’éclater comme des petits fous durant leur relation sûrement éternelle… Ou au moins, la durée de leur vie de pauvres mortels. Cette relation ne reviendrait pas non plus à de la passivité, mais agir comme le faisaient d’autres comme le l’Espoir du Renouveau – qu’ils ne connaissaient accessoirement pas – n’était pas non plus leur truc. Peut-être étaient-ils un peu plus dans la subtilité…
Enfin, là, il n’y avait rien de subtil à ce qu’ils faisaient. Tout le monde en vient un moment ou à un autre à sortir dans la rue parce que son chez soi lui tape sur les nerfs, ou qu’on a simplement besoin de respirer. Ou pour on ne sait quelle raison, Enael s’était retrouvé dehors, en compagnie de son Contractant qui ne s’était pas matérialisé sous sa forme spectrale, capacité qu’il avait récemment acquise, lorsque Enael avait purgé sa peine pour homicide… volontaire ou involontaire ? Les choses étaient confuses là-dessus… Certains avaient considérés que l’acte avait été involontaire car poussé par la folie, d’autres n’en avaient pas tenu compte… Mais finalement, il s’en était pas trop mal tiré, étant donné qu’il s’était plutôt bien conduit en maison de redressement… enfin, mis à part l’incident avec le crayon et son œil gauche qu’il avait percé avec, et à cause duquel il arborait à présent un cache, qu’il ne retirait que quand il dormait… Certes, les gens le regardaient un peu étrangement, mais cela aurait été pire si le jeune Allemand avait exposé son œil mutilé à la vue d’autrui… Certainement que les regards se seraient faits horrifiés ou méprisants, déjà qu’ils l’étaient un peu… Enfin, peut-être qu’on lui ficherait la paix et qu’il n’aurait plus à supporter les émotions des autres, mais il avait quand même pitié de ses semblables et leur épargnait la vue d’un tel spectacle… En fait, il avait surtout de la pitié pour Abel, qui avait fini par croire à un moment donné aux accusations du jeune Allemand et qui se jugeait quelque part responsable de l’incident. Enfin bref, il se trouvait que le jeune homme vêtu d’un jean et d’une veste noire déambulait au hasard dans les rues, ayant eu marre de se pencher sur ses devoirs de sciences physiques… bien qu’il les résolvait en principe avec facilité. En fait, cela n’était peut-être qu’une excuse, la véritable raison se trouvant peut-être en la présence de son père… Allez savoir.
Les mains dans les poches, le jeune Allemand portait sur ses semblables un regard indifférent, tout en faisant de son mieux pour ne frôler personne – il avait pris le soin de choisir des rues qui n’étaient pas trop fréquentées. S’il était allé dans un endroit aussi fréquenté que la Tour Eiffel, il aurait sûrement crevé sur place, n’ayant pas supporté une telle effusion d’émotions et de sentiments… Le jeune homme s’arrêta au bord de la chaussée, devant le marquage blanc discontinu qui formait le passage pour piétons. Il s’écarta discrètement de la jeune femme à son côté qui elle aussi attendait la silhouette verte pour pouvoir traverser sans se faire écraser par la multitude de voitures qui passaient à toute vitesse au feu vert, comme si faire ainsi allait empêcher ledit feu de passer au orange, puis au rouge. Toujours, il y avait toujours du monde ici… Rien que pour cette raison, Enael aurait aimé s’exiler à la campagne… D’autant plus que, parfois, son pouvoir s’activait sans qu’il n’entre en contact physique avec un autre de ses semblables… La petite silhouette rouge s’éteignit, laissant place à celle verte, s’illuminant à côté. Les piétons qui s’étaient amassés au bord de la chaussée traversèrent dès qu’ils virent cette silhouette. Enael ne bougea pas. Il n’était pas pressé, et il regardait d’un air indifférent ses semblables se précipiter sur la chaussée. Après quelques instants d’immobilisation, le jeune Weisheit se décida tout de même à traverser, comme les autres. Il ne savait même pas où il allait. Arrivé de l’autre côté de la chaussée, une vague d’énervement passa dans son cœur, et Abel ne put s’empêcher de crier doucement après son Contractant :
- Fais gaffe Enael !
L’air de dire, nan mais il arrête pas de faire des bêtises celui-là. Ce qui était pas loin de la vérité, puisqu’il était entré en contact un bref instant avec celui qui traversait derrière lui, et qui était vraisemblablement énervé de voir Enael prendre tout son temps. Les gens de notre époque sont des gens pressés… Enael ne répliqua rien dans l’immédiat, se contentant de se calmer, non sans l’intervention brève d’Abel et de son pouvoir. Le jeune Allemand reprit sa marche, bifurquant pour se retrouver sur un axe moins fréquenté. Toutefois, il essayait quand même d’éviter les petites ruelles depuis qu’il s’était fait agresser à la sortie du Gymnasium qu’il fréquentait.
- Je sais me contrôler un minimum, tu sais. Pas la peine de s’affoler dès le premier incident…
Abel ne répliqua pas, même si toute sa pensée était contraire aux propos de son Contractant. En fait, il n’avait pas besoin de s’exprimer, puisque le jeune Weisheit avait parfaitement compris que Abel ne pouvait oublier le jour où il avait tout de même tué un homme. Par un incident comme celui-ci. Enfin, la nuance qu’y voyait Enael, c’était le fait qu’il ait été en contact prolongé avec celui qu’il avait tué, alors que là, cela n’avait été que bref. Laissant son corps le guider, Enael finit par entrer dans une boutique. Non pas pour acheter, mais pour regarder. Son regard ambré se posa d’ailleurs plus sur les peintures accrochées aux murs que sur les ustensiles que l’on vendait dans cette boutique pour effectuer ce genre de travail – quand on avait, évidemment, un temps soit peu de talent… Enael remarqua aux petites étiquettes collées sur le mur que ces peintures étaient à vendre. De toute façon, il n’avait pas assez d’argent pour acheter quoi que ce soit…
